SIH - Yokozawa no Baai - chap 6 - part 3

Titre: Yokozawa Takafumi no Baai
Série: Sekai-ichi Hatsukoi
Auteurs: Nakamura Shungiku et Fujisaki Miyako
Rating: Tout public
Langage: Français
Résumé: Et là, c'est le re-drame.




Même s’il avait prétexté avoir du travail pour quitter Takano, il ne pouvait se résoudre à retourner à son bureau pour l'instant. Il se faufila sur l'escalier de secours extérieur. Il voulait être seul un moment.

Le soleil était déjà couché, laissant le ciel teinté des couleurs du crépuscule. C’était également une zone fumeur, mais en pareille saison, les gens qui s’y attardaient étaient battus par un terrible vent du nord. C’était donc l'endroit idéal pour être seul.

-…

Il essaya de libérer la tension qui avait raidi ses épaules en expirant lentement.

Il avait été capable de parler à Takano plus calmement que ce qu'il redoutait, mais tous les sentiments qu’il éprouvait encore à son égard lui avaient sauté à la gorge.

Il savait pertinemment qu'il ne pouvait rien espérer et que rien ne changerait, mais il fallait se rendre à l'évidence, il était toujours éperdument amoureux de Takano.

-Si je pouvais l'oublier si facilement, je ne serais pas dans cet état… se dit-il à lui-même en mettant la main sur son paquet de cigarettes rangé dans la poche de sa veste.

Il plaça une cigarette entre ses dents après l'avoir tapotée avec le doigt. Il l'alluma avec un briquet sur lequel un personnage d'anime de Marukawa prenait la pose.

Il entendit la porte grincer en s’ouvrant derrière lui.

L'espace d'un instant, il se raidit, appréhendant d’être dérangé, mais il fut soulagé d’entendre une voix familière.

-On dirait un lycéen qui essaierait de se planquer pour fumer.

-Ta gueule !

Il avait reconnu Kirishima sans même se retourner.

Il n'avait même pas besoin de lui demander comment il avait su que Yokozawa se trouverait ici. Il l'avait sûrement vu courir dans la cage d'escalier et l'avait suivi jusque là.

Peut-être avait-il trouvé suspect le comportement de Yokozawa ? Ou peut-être l'avait-il vu s’entretenir avec Takano ? En tout cas, il ne serait pas venu jusqu’ici durant ses heures de travail simplement pour l’embêter.

-Si tu as quelque chose à dire, crache le morceau.

Il se pencha en arrière, appuyé contre le garde-corps, sa cigarette calée entre les dents. Kirishima s’approcha de lui et s’appuya à son tour contre la rambarde.

-Je suis en train de réfléchir à quelque chose en ce moment même. Donne-moi une cigarette.

-Je croyais que tu avais arrêté de fumer ?

-Moi aussi j’ai envie de me ruiner la santé de temps en temps.

Yokozawa sortit le paquet de cigarettes qu'il venait tout juste de ranger dans sa poche et le tendit à Kirishima.

-Ce sont de jolies petites cigarettes light que tu as là, dis-moi. Donne-moi du feu.

-Allume-la toi-même !

Alors que Yokozawa s’apprêtait à lui prêter son briquet, Kirishima se pencha en avant, agrippa sa cravate et approcha son visage à quelques centimètres du sien.

-Ça fera l’affaire.

-…

Yokozawa baissa les yeux pour éviter que leurs regards ne se croisent. Mais ses yeux tombèrent sur sa bouche, qu’il se surprit à fixer. Ses lèvres étaient minces et taillées pour ce sourire ironique qu'il aimait tant afficher. Yokozawa se demanda alors si d'autres que lui savaient combien sa bouche était grande lorsqu’il éclatait de rire.

Personne dans le département des ventes n'aurait pu croire que, malgré cette façon délicate qu'il avait de tenir sa cigarette, il était en fait assez maladroit.

-… Elle est enfin allumée.

- Ah… ouais.

Les quelques secondes qu'il avait fallu pour que la cigarette s'allume lui avaient paru s’étirer à l’infini. Kirishima inhala une longue bouffée, puis l’expira doucement :

-…Tout va bien ?

-De quoi tu parles ?

-Ne joue pas à ça avec moi. Quelque chose s'est passé avec Takano, n'est-ce pas ?

-Ce n'est pas très poli d’espionner les gens.

-Si tu ne veux pas qu'on t’espionne, tu ne devrais pas tirer une telle tronche en public !

Il les avait bien vus ensemble…

Au moment où il avait tourné le dos à Takano, Kirishima avait dû remarquer son expression dépitée depuis l’extérieur du fumoir.

-… Et de quel genre de tronche tu veux parler, exactement ?

-Tu le sais très bien. C’est la raison de ta présence ici.

-Si c'est le cas, alors qu'est-ce que tu fous là ?

Il pouvait sentir sa colère monter alors que Kirishima continuait à tomber douloureusement juste. Il exhumait tout ce que Yokozawa aurait préféré garder secrètement enterré au fond de lui.

Pour l’empêcher de voir qu’il avait fait mouche, il tira une grande bouffée sur sa cigarette. Mais peu importait la dose de nicotine qu'il absorbait aujourd’hui, elle ne lui apportait pas l'ivresse qu’il espérait tant.

-Désolé, mais je n'ai pas envie de faire mumuse avec toi aujourd'hui. S'il te plaît, laisse-moi tranquille.

Il faisait une cible parfaite à présent : complètement à découvert. S’il le laissait faire, il ne pourrait pas empêcher Kirishima de découvrir un aspect de sa personnalité qu’il voulait garder secret.

-Si je te laisse tout seul, tu vas encore te mettre à déprimer et ce pli entre tes sourcils va à nouveau se creuser, au moment même où j’avais réussi à le faire disparaître ! Et ça n’a pas été une mince affaire, crois-moi !

-Qu’est-ce que tu…

Et à cet instant, il comprit : il avait été tellement ivre ce soir-là, qu'il ne se souvenait plus de rien. Il était fort probable qu’il ait prononcé le nom de Takano à un moment ou un autre de leur conversation. Ce type avait simplement fait semblant de ne rien savoir.

C’était peut-être la raison pour laquelle il l'avait entraîné avec lui dans tous ces bars et restaurants : pour l’empêcher de sombrer dans la dépression. En effet, il ne s’était pas retrouvé seul avec Takano avant aujourd'hui, car tout son temps, il l'avait passé… avec Kirishima.

Cela le stupéfia. Tout ce temps, Kirishima avait essayé de le protéger.

-Je n'aurais jamais imaginé que tu étais du genre à t’immiscer dans les affaires des autres.

Mais cette réflexion amère fut adoucie par les tremblements de sa voix. Il ne parvenait plus à garder son masque fier, qu'il avait réussi à brandir face à Takano un peu plus tôt.

-Ça m'a surpris moi-même, à vrai dire. Je ne pouvais pas décemment te laisser seul. C'est peut-être parce que tu me rappelles un peu moi quand j’étais plus jeune.

-Et en quoi je te ressemble au juste ?

-Cette façon que tu as de te battre jusqu’à l’épuisement pour n’obtenir à la fin que la plus petite part du gâteau.

Yokozawa grimaça devant l’analyse implacable mais juste de Kirishima. Il était exactement comme il l’avait décrit et en particulier depuis l’arrivée d’Onodera. A chaque fois qu'il avait tenté d’éloigner Onodera et Takano, ils s’étaient rapprochés et avaient consolidé leurs sentiments l'un pour l'autre. Tous ses efforts pour les séparer n'avaient fait que les lier plus étroitement ; Yokozawa n’avait plus été qu’un indésirable, un importun. Malgré son habileté, il n’avait rien pu changer.

Il savait mieux que quiconque qu'il avait échoué dans tout ce qu'il avait entrepris. Mais il n’aurait jamais imaginé que Kirishima ait pu être comme lui autrefois.

-… Comme si tu pouvais être comme moi.

-C'est le privilège de l'âge. J’ai juste un masque pour sauver les apparences. Je l’ai tellement perfectionné que les jeunes gens comme toi ne comprennent pas qu’il y en a un. Mais à l’intérieur, nous ne sommes pas si différents l’un de l’autre…

Yokozawa ne pouvait pas dire s’il lui disait la vérité ou s’il essayait juste de lui remonter le moral. Face à son mutisme, Kirishima poursuivit :

-Tu as vraiment un cœur pur. Tu prends tellement au sérieux ton premier amour, même s’il n'aura jamais de lendemain : même s’il ne t’aimera jamais comme tu l’aimes, tu fais tout pour ne pas lui faire de mal.

-Et qu'est-ce qui te fait dire que c'est mon premier amour ?

-C'est parce que tu me l'as dit quand tu étais ivre – mais bon, tout le monde pourrait le découvrir rien qu'en te regardant. Si ce n’était pas ton premier amour, tu ne t’y accrocherais pas tant.

-…

Il ne pouvait pas s’empêcher de se demander ce qu'il avait bien pu dire cette nuit-là à Kirishima. Qu’il n’en n'ait plus aucun souvenir continuait à le tourmenter.

Incapable de garder son calme, il sortit son cendrier de poche et éteignit sa cigarette. Il fallait qu'il s'occupe les mains à cet instant, au risque de dire quelque chose qu'il allait regretter.

Mais Kirishima s’obstinait à poursuivre, sans se soucier de ses tentatives pour rester imperturbable.

-Je vais te dire une chose que tu ne vas pas aimer du tout : ce que tu ressens, c'est de la dépendance.

-Quoi ?

Son esprit était vide, il n’arrivait plus comprendre ce qu'on lui disait. Ou plutôt, son esprit refusait catégoriquement de comprendre ce que Kirishima venait de dire.

-« Je dois rester à ses côtés », « je dois le soutenir », « je le connais mieux que quiconque »… C'est tout bonnement une façon détournée d’espérer que l'autre pense la même chose à ton sujet.

Il voulait qu’on ait besoin de lui, espérait être soutenu, et il désirait désespérément que quelqu'un le connaisse mieux que personne, mieux que lui-même…

Exposer ainsi ses pensées les plus secrètes fit exploser Yokozawa :

-Et qu'est-ce que tu en sais, toi ?!

Kirishima maintint une expression impassible face à l’exclamation virulente de Yokozawa. Mais le contraste entre leurs réactions – lui, furieux ; l’autre, si calme – accentuait à quel point Yokozawa était pathétique.

-Ta réaction est la preuve que j'ai mis le doigt sur le problème. Si c'est la première fois que tu t’en rends compte, prends le temps d’y réfléchir maintenant : pourquoi es-tu tombé amoureux de lui à l’origine ?

Cette voix si calme et si posée commençait vraiment à lui taper sur le système !

-Tu dois te croire tellement intelligent ! Mais tu ne connais rien de moi ! J’en ai vraiment marre que tu te mêles de mes affaires, ça ne te regarde pas ! Et arrête de penser que tu as la science infuse, à la fin !

Yokozawa réalisa que ses paroles avaient dépassé sa pensée dans son accès de colère. Mais il avait de plus en plus de mal à contenir ses émotions.

-… Oui, tu as raison. Je… je réalise que je ne connais pas tout de toi.

Le sourire triste de Kirishima fut comme un coup de poignard. Ce n’était pourtant pas la même douleur qu’après son rejet par Takano. Cette fois, elle était enracinée à un profond sentiment de culpabilité. S’il ne s’excusait pas sur-le-champ, leurs rapports en souffriraient.

Malgré cette sensation d'urgence, il cracha des mots qui étaient à mille lieux des excuses qu’il aurait voulu lui présenter :

-Fous le camp d'ici ! Ne t'approche plus de moi ! Je ne veux plus jamais te revoir ! Plus jamais !

Un long silence succéda à ces mots. Puis Kirishima répondit brièvement :

-Très bien.

-…

-Je n'ai pas de cendrier. Tu peux jeter ça pour moi ?

Il lui tendit sa cigarette et tourna les talons, laissant Yokozawa seul face à la porte en fer qui se refermait lentement.

Kirishima venait de faire exactement ce qu’il lui avait demandé, alors pourquoi son cœur lui faisait-il si mal ?

Il ouvrit la bouche pour l'appeler, ou le retenir, mais il hésita.

C’était Yokozawa qui l'avait chassé, il ne pouvait pas lui demander de revenir. Il ne savait même pas comment il aurait pu se faire pardonner. Alors qu’il maudissait son foutu caractère, la grande porte en fer se referma lentement dans un claquement retentissant.

Pour Yokozawa, ce bruit sonnait comme le rejet définitif de Kirishima.





A suivre ….